MAGAZINE AIR V35N1
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L’ÉNA
Par Roger D. Leblanc
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Professeur au Département de préenvol, École nationale d’aérotechnique, affiliée au Cégep Édouard-Montpetit
La portance ou
comment un avion peut-il voler?
En tant que passionné d’aviation ou même pilote, qui ne
s’est pas déjà fait poser cette question au moins une fois,
comment un avion peut-il voler?
Bien que les forces qui s’opposent à la gravité et permettent
à un aéronef de se déplacer dans les airs soient bien réelles
et tous les jours à l’œuvre, leurs explications et leurs origines
varient fréquemment d’une personne à l’autre.
Ceux qui ont dépassé le cap du demi-siècle se rappelleront
de l’histoire des molécules d’air séparées par le bord d’at-
taque de l’aile. Ces molécules d’air devaient parcourir un
plus grand chemin sur le dessus de l’aile (extrados*) que le
dessous (intrados*), en raison de la forme même de l’aile.
On indiquait par la suite que l’air était compressible, qu’il
comportait un certain degré de viscosité et qu’en vertu de
cette viscosité, les molécules ainsi séparées devaient se re-
joindre en même temps au bord de fuite… Cela vous rappelle
quelque chose? C’est ainsi qu’on expliquait l’accélération des
molécules d’air sur l’extrados. Mais en est-il vraiment ainsi?
Plus qu’un simple déplacement de molécules d’air
Sommairement, le théorème de Bernoulli appliqué à l’avia-
tion nous indique toutefois que lorsque la vélocité d’un écou-
lement augmente sur une section d’aile, la pression diminue
à cet endroit et vice versa. À cet effet, l’accélération de l’air
sur l’extrados va donc créer une dépression, comparative-
ment à la pression exercée sur l’intrados. Et voilà!
Étant donné que la haute pression tend à se diriger vers la
basse pression, il y a donc création d’une force qui tire l’aile
vers le haut et, de ce fait, génère la portance nécessaire pour
faire voler l’aéronef. N’est-ce pas ce qui était illustré dans di-
vers manuels et que l’on nous enseignait? Eh bien, ce n’est
pas tout à fait exact.
Des recherches expérimentales ont clairement démontré que
les molécules d’air séparées au bord d’attaque de l’aile ne se
rejoignent pas au bord de fuite. Si les molécules avaient pu
se rejoindre, comment expliquer le vol inversé ou le vol avec
des profils d’ailes symétriques (profil NACA XX00)?
* Se réfère à la partie de l’aile qui génère de la portance s’opposant
au poids de l’avion; généralement la partie supérieure de l’aile.
On ne peut nier le fait que l’écoulement laminaire se
déplace plus rapidement sur l’extrados et que la
pression est moins élevée sur l’extrados de l’aile,
mais ce n’est pas dû à la viscosité de l’air. En effet, la
déflexion d’une masse d’air vers le bas à la suite du
passage de l’aile engendre une force égale et opposée
vers le haut, selon les lois de Newton (action/ré-
action). De plus, la déflexion de cette masse d’air
contribue à la création d’une circulation d’air asso-
ciée à la différence de vélocité entre la partie supé-
rieure et inférieure de l’aile.
Comme exemple concret de l’effet de cette déflexion d’air,
vous n’avez qu’à vous imaginer debout dans une boîte de
camion à ciel ouvert tenant un morceau de contre-plaqué,
avec un angle d’attaque positif par rapport au déplacement
du camion. On ne peut certainement pas dire que le contre-
plaqué possède un profil aérodynamique intéressant, mais
essayez de le tenir lorsque le camion atteindra 40 km/h…
Vous verrez qu’il existe une force réelle de portance qu’on
ne peut nier!
Une combinaison de phénomènes
Qu’en est-il alors? Afin de réviser nos connaissances sur un
sujet si important, il faut définir ce que l’on entend par la
portance. La portance est une composante vectorielle de la
force aérodynamique totale qui s’oppose au poids de l’aéro-
nef et qui est toujours perpendiculaire à la direction de vol
de l’avion. Cette force est principalement engendrée par
deux phénomènes aérodynamiques distincts : d’abord, la dif-
férence de pression entre l’intrados et l’extrados et, dans un
deuxième temps, la déflexion de l’air vers le bas, après le pas-
sage de l’aile.
Au moment d’écrire ces lignes, les experts de différents mi-
lieux, notamment le
NASA Glenn Research Center
à Cleveland,
en Ohio, ne s’entendent pas sur le pourcentage que repré-
sente chacun de ces deux phénomènes dans leur contribu-
tion à la portance totale. Toutefois, on peut néanmoins
affirmer que l’altitude, la vélocité, l’angle d’attaque et la
configuration de l’aile sont tous des facteurs importants
quant à la contribution de chacune de ces deux sources de
portance.
Enfin, il va sans dire que la portance créée par un aéronef
est complexe et que d’autres découvertes pourraient nous en
apprendre davantage sur ce fascinant sujet.
Références complémentaires
-
Aerodynamic Design of Transport Aircraft,
Ed Obert, IOS Press
2009, chapitres 14-15
-
Mécanique du vol
, A.C. Kermode, Modulo Éditeur 2000, chap. 2-3
- www.grc.nasa.gov/www/k-12/airplane/lift1.html