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SEPTEMBRE / OCTOBRE 2019

68

L

a scène était saisissante : une réplique du Blériot dans un

hangar en bois, déposée sur des bandes de gazon. Seuls les

outils modernes sans fils qui traînaient nous ramenaient au siè-

cle présent. Quand l’assemblage fut terminé, je fus invité à mon-

ter à bord pour tester le moteur. Le Rotec a démarré sans

s’apercevoir que, dans le cockpit, avec mon poids, cela faisait en

sorte que ma béquille de cale (

tail skid

) s’est embourbée dans

l’herbe et nous a donné par le fait même la preuve que c’était

un crochet d’arrêt efficace. Le Blériot s’est retrouvé coincé. Je me

suis rappelé ma règle personnelle concernant la conduite avec

les vieux avions : les pièces qui vous étonnent sont celles qui ont

été améliorées ou modernisées. Donc, ce soir-là, il a fallu conce-

voir, fabriquer et installer un autre système de cale afin de l’em-

pêcher de s’enfoncer dans l’herbe et aussi pour mieux distribuer

le poids de l’avion. L’équipe est arrivée rapidement avec une so-

lution simple, conçue pour réduire la friction sur la cale. Cela a

marché peut-être un peu trop bien.

Le lendemain matin, les espérances de l’équipe étaient élevées.

L’avion fut remorqué de nouveau à l’extérieur et nous avons dé-

buté les essais. Il existe une règle d’or pour les vols d’essais

« planifie ton vol et réalise ton vol ». C’est ce que nous avons fait,

en commençant par un court trajet sur le terrain.

Au début, je ne dépassais pas les 10 nœuds, à la suite de quoi

le caractère de l’avion s’est affirmé, même si les freins et le volant

étaient simplets, une fois l’accélérateur coupé. J’étais un passa-

ger et je l’ai regardé de près lorsqu’il a fait un lent

ground-loop

à l’opposé de mon gouvernail totalement inefficace. En fait,

toutes les tentatives pour rouler sur le terrain se traduisaient

par une gracieuse pirouette de la queue qui voulait, elle, prendre

la position de tête. À voir dans quelle mesure était son instabilité

à rouler au sol, il était évident que d’anticiper un vol n’était guère

réalisable. Les membres de l’équipe du CAHC sont encore venus

à mon aide. Réalisant que plus de friction sur la béquille de cale

réduirait la déstabilisation, ils ont rapidement décidé d’enrouler

une bande de caoutchouc à la base de la cale, obtenant ainsi une

sorte de quille avec pour effet de tenir la queue dernière moi,

où elle se devait d’être, plutôt qu’au-devant, ce qu’elle tentait de

faire.

En moins de quelques minutes, nous étions de retour en affaires,

effectuant une série d’avant-arrière (run-down) à une vitesse de

plus en plus rapide. L’équilibre directionnel devint supérieur

mais, tout de même, l’avion demeurait incontrôlable durant la

décélération sans tenir compte de la stimulation du gouvernail.

Selon les plans du Blériot, il appert que le projet voilage des ailes

était nettement inefficace, ce que nous devions éviter afin d’em-

pêcher les vents de travers. Le soleil levant apportait une légère

brise, mais heureusement elle soufflait droit sur la piste de dé-

collage. Chaque tour de piste impliquait un minutieux préposi-

tionnement des commandes, tel qu’être bien centré latéralement

et avec la gouverne de profondeur légèrement avancée. Ma

préoccupation était que les tentatives violentes pour faire lever

la queue pouvaient faire caler la rudimentaire gouverne de pro-

fondeur, créant ainsi une résistance qui entraînait par le fait

même le risque de perte de contrôle des commandes. Il com-

portait aussi des coups pour régler le gouvernail jusqu’à ce que

l’on puisse sentir que le Blériot était prêt à voler. Fonçant à

25 nœuds, il a démontré les caractéristiques d’un élégant mais

disgracieux chariot d’épicerie. Les ailes montaient et, à notre

dernier tour de piste du matin, j’ai ajouté à peu près un autre

3 nœuds. J’avais à ce moment-là développé un peu de succès

avec la commande de direction et je réfléchissais à la résistance

de la queue à monter quand, tout à coup, le Blériot s’est mis à

monter de terre.

À suivre…

SAVIEZ-VOUS QUE ...

Par Roger Coupal

| Archiviste, Fondation Aérovision Québec |

rcoupal@aerovision.org

Le Blériot XI, premier aéronef à survoler Montréal

en 1910 (la suite)

Plan du Blériot XI