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MAI / JUIN 2022 22 L e gouvernement fédéral parle à nouveau de développer un meilleur réseau de transport ferroviaire pour passagers au Canada. Ayant réalisé qu’un train à grande vitesse (TGV) dans ce pays n’est pas une option raisonnable, compte tenu du territoire et de la population à desservir, le gouvernement parle mainte- nant de train à grande fréquence (TGF). La « Demande de déclaration d’intérêt pour le train à grande fré- quence » publiée en mars par le gouvernement du Canada réi- tère de vieux arguments sur lesquels les promoteurs du TGV avaient fondé leur vision. Ce projet à long terme demilliards de dollars imposerait aux Ca- nadiens non seulement une énorme dette à long terme, mais aussi d’essuyer les très importants dé f icits opérationnels an- nuels inévitables de ce projet. Le gouvernement veut soutenir à coups de centaines demillions (voire des milliards) un système de transport au détriment des autres modes, en l’occurrence le transport aérien. En 2019, la dernière année avant la pandémie, les contribuables ont soutenu VIA Rail à hauteur de 281M$ en f inancement opérationnel et de 268 M$ supplémentaires en f inancement d’immobilisations. Le f inancement opérationnel à lui seul équivaut à une subvention de 42 % pour chacun des quelque deux millions de billets ven- dus. Le soutien f inancier de l’État pour cette société de la Cou- ronne a grimpé à 669 M$ en 2020. En contraste, non seulement le gouvernement ne soutient-il que marginalement l’aviation commerciale au Canada, mais lui impose plus d’un milliard de dollars annuellement en tarifs, loyers des aéroports et taxes d’ac- cise dont aucun autre mode de transport n’est grevé. Le gouvernement a largement ignoré les transporteurs aériens régionaux pendant la pandémie, un secteur qui transporte beau- coup plus de passagers que VIA Rail et, dans de nombreux cas, fournit un lien unique et essentiel entre les régions et le reste du pays et du monde. Des études de faisabilité antérieures du gouvernement sur le dé- veloppement d’un nouveau système ferroviaire au Canada sou- lignaient que certains corridors à volume élevé pourraient être f inancièrement autonomes à la condition que les transporteurs aériens acceptent de ne pas lui faire concurrence sur ces routes. Comment les auteurs de telles études peuvent-ils imaginer que le secteur aérien accepterait de renoncer à des routes très ren- tables a f in de réduire le dé f icit d’un mode concurrent déjà lar- gement f inancé par les contribuables? Les économies de temps de trajet qu’avance le gouvernement ne justi f ient pas un tel fardeau f inancier sur les générations futures. Les prévisions ambitieuses d’augmentation de la demande an- nuelle, de la fréquence des voyages et de la capacité en sièges n’ont pas été démontrées. L’idée que la construction d’un THF au Canada générerait à elle seule l’augmentation très opti- miste de la demande est une illusion. Le taux d’augmentation des coûts d’exploitation d’une telle opération dépassera vrai- semblablement la croissance potentielle de la demande. Quant à l’argument de la protection de l’environnement, les ré- ductions attendues des émissions de GES sont désormais re- mises en question par les scienti f iques lorsqu’ils comparent les opérations ferroviaires aux avions plus ef f icaces actuellement utilisés et plus encore à ceux dont l’utilisation est prévue pro- chainement. L’impact environnemental très important sur le ter- ritoire de la construction d’une voie ferrée dédiée, sans compter l’énorme expropriation d’espaces verts que nécessiterait la construction de cette ligne, a-t-il été suf f isamment pris en consi- dération? Il n’y a pas un seul système de transport de train rapide dans le monde qui soit f inancièrement rentable, même dans les pays densément peuplés d’Asie et d’Europe où le train est solidement ancré dans les habitudes de voyage des citoyens. Le THF ressemble à un compromis trop dispendieux d’un pays ne pouvant se permettre un TGV. Une fois terminé, ce projet se- rait-il déjà dépassé par les nouvelles technologies et nécessite- rait-il une nouvelle injection immédiate de capital supplémentaire pour le moderniser et le rendre attrayant pour la prochaine génération? Nous sommes certainement en faveur d’une plus grande inter- modalité du transport au Canada. Le consommateur et le contri- buable béné f icieraient largement d’un système multimodal fondé sur une meilleure complémentarité des modes de trans- port existants. Cela ajouterait à l’ef f icience et à l’ef f icacité de notre système de transport collectif. Il existe également de nombreuses autres solutions à court terme que le gouvernement pourrait considérer si son objectif est de réduire les émissions de GES, telles que l’investissement dans de meilleurs systèmes de trains de banlieue, l’accroisse- ment du réseau national de recharge et de plus importantes sub- ventions pour l’achat d’automobiles électriques et, bien sûr, aider àmoderniser le système de transport aérien régional au Canada. C’est sur ce type de grands projets que le gouvernement devrait miser plutôt que de ressusciter un rêve électoral inabordable. Notre pays ne peut pas se permettre des projets qui ne sont pas fondés sur notre réalité socio-économique. Plutôt qu’annoncer à coups de millions des études sur des pro- jets qui ont peu de chances de se réaliser, le gouvernement ne devrait-il pas plutôt présenter un plan de transport national pourvu d’une vision qui intègre tous les modes de transports au Canada. Q DÉBATS Le rêve du tr a in ref a it surf a ce John McKenna | Président et chef de la direction, Association du transport aérien du Canada | www.linkedin.com/in/JohnMcKenna-ATAC

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