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JANVIER / FÉVRIER 2021 69 tion de l’aérodrome pour bien diriger le bang sonore vers les techniciens au sol, un plan f ixe réglé à 1,5 degré (une défail- lance électrique d’un relais relié à la commande de réglage du plan f ixe causera sa mort l’année suivante); le machmètre in- dique alors successivement Mach 0,97, Mach 0,98, Mach 0,99. L’avion recommence à vouloir se redresser de lui-même. Manche poussé en avant, l’aiguille repasse à 0,98, puis s’affole, passe brusquement à Mach 1,01, on lui crie à la radio : « Ça y est! » Bang! Gagné! Mission accomplie! Cette fois-ci, l’avion a dégringolé de 1000 mètres! Rozanoff ressentit une petite re- vanche face à l’événement du 28 octobre 1952, quand le major Marion Davis, pilote américain de l’US Air Force avait franchi le mur du son à bord du Mystère II (prototype 03) dans le ciel de Melun-Villaroche au sud-est de Paris. Le 5 juillet 1953, Air Show du Bourget, à Paris. Au programme : un Sud Aviation S.O. 4050 Vautour qui doit franchir le mur du son, des Mystère II et une démonstration subsonique du Mys- tère IV A exécutée par Rozanoff. Un double imprévu arrive alors. Tout d’abord, les spectateurs n’ont pas entendu le bang supersonique du Vautour et, deuxièmement, Rozanoff, jugeant que ce n’était pas rendre justice aux capacités du Mystère IV A de le faire voler en subsonique, redécolle et franchit le mur du son en prenant bien soin de faire diriger le bang so- nique vers les spectateurs! Dès octobre de cette année, Rozanoff traverse le mur du son pour la centième fois et est élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. Par ailleurs arrivait un nouveau proto- type, le Mystère IV B, qui allait permettre au pilote de briser le mur du son en vol horizontal. Et ce fut fait pour la première fois en France le 24 février 1954 aux mains de nul autre que Rozanoff lui-même! D’après ses écrits, il avait de l’admiration pour la célèbre avia- trice Maryse Bastié, qui avait décroché de nombreux records dans le domaine de l’aviation, et il fut très touché par sa mort alors qu’elle était simple passagère à bord du prototype du No- ratlas qui subit cet accident le 6 juillet 1952 à l’aéroport de Lyon-Bron. Rozanoff disait qu’il ne croyait pas à la fatalité. Il écrivit : « Le destin se fait; il ne se subit pas. Si je décide de ne pas voler aujourd’hui, rien au monde ne pourra faire que j’aie un accident d’aviation. Il subsiste donc, dans chaque catas- trophe, une part d’acquiescement préalable, de risque accepté. La part de l’homme. » Le 3 avril 1954, centre d’essais en vol de Melun-Villaroche, Ro- zanoff décide de voler ce jour-là et de tenter de passer le mur du son à seulement 30 mètres du sol. Son Mystère IV B arrive à une vitesse foudroyante et soudainement plonge vers le sol et explose sous les yeux d’of f iciels français et britanniques. D’après les écrits du célèbre pilote d’essai André Turcat, bien connu pour avoir exécuté les premiers vols du Concorde, l’ori- gine de l’accident se trouve dans la défaillance des relais élec- triques reliés au mécanisme du moteur électrique de correction de profondeur sollicité à l’aide d’un bouton cabré- piqué au sommet du manche à balai. Turcat travaillait à cette époque au développement du proto- type Nord 1402 Gerfaut pour l’étude de l’aile delta. De taille réduite, le Gerfaut avait un empennage horizontal sur la dérive, donc un plan f ixe commandé par un système similaire à celui du Mystère IV B. Il émet l’hypothèse d’un relais resté coincé causant l’accident mortel de Rozanoff. Il fait donc coller l’un des relais suspects dans un test au sol. En poussant piquer sur le bouton, le plan f ixe bouge dans la bonne direction. De l’avis de techniciens, en poussant sur cabrer, si un des relais restait collé et que les circuits passaient par des relais croisés, l’action sur l’autre relais ferait disjoncter le système et le plan f ixe res- terait en place. Mais l’expérience fut concluante : en poussant sur cabrer, le plan f ixe continua le mouvement de piqué. En clair, si cela se produisait en vol, l’avion piquerait vers le sol; on imagine la suite… Dans ses mémoires, Rozanoff mentionne que c’est surtout pen- dant les essais secondaires que les pilotes d’essais risquent le plus d’avoir des accidents mortels : « Il est normal que l’ex- trême tension nerveuse supportée par le pilote lors des pre- miers vols d’un prototype se relâche légèrement lorsque la partie semble gagnée. » Le pilote d’essai Rob Erdos des Ailes d’époque du Canada m’avait également dit un jour ces quelques mots restés gravés dans ma mémoire, alors qu’il par- lait de son métier : « You have to plan the f light and f ly the plan. » Il faut préparer son plan de vol et le suivre à la lettre. Références Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget, Paris. Le centième boum par le colonel Rozanoff, 15 Histoires de l’air, Édition Gauthier-Languereau, 1971. Pilote d'essais, Mémoires, André Turcat, Éditeur Le Cherche midi, 2009. Le Noze Art du Mystère IV A montre bien combien de fois cet avion a brisé le mur du son. (Photo Pierre Lapprand) Kostia Rozanoff, d’origine polonaise et naturalisé Français. (Photo source Internet)

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